La loi de « moralisation » débattue au mois de juillet dernier a surtout porté sur le fonctionnement du Parlement et encore plus sur le statut des parlementaires. Le gouvernement a refusé systématiquement tous les amendements proposant d’étendre aux membres du gouvernement ou à des responsables de l’administration certaines règles envisagées pour les parlementaires. Les premières annonces du Président de la République au Congrès du 3 juillet dernier ont à nouveau montré la manière dont le pouvoir exécutif entend continuer de s’acheter une vertu démocratique en concentrant la critique sur le parlement pour mieux asseoir un pouvoir vertical, technocratique et managérial.
Il est donc de la plus haute importance pour ce débat que le parlement, et en premier lieu l’Assemblée nationale, se donne les moyens d’élaborer, en toute indépendance du pouvoir exécutif, ses propres analyses et propositions.
L’Assemblée nationale a lancé une série de chantiers de modernisation de son fonctionnement. C’est évidemment une initiative intéressante à laquelle il faut contribuer, ce que s’emploie à faire la Fondation Jean Jaurès. Mais pour que la démarche produise des effets, encore faut-il poser un diagnostic et envisager des remèdes.
Au seuil de ce débat des débats, de cette « mère des réformes à venir », nous voulons ici poser quelques questions dont nous pensons qu’elles devront être affrontées et tranchées en toute conscience et proposer quelques points de repères.
Le premier diagnostic est la crise de confiance entre une partie de la population et ce qu’il est convenu d’appeler la classe politique. Cette dernière n’incarne plus une autorité susceptible d’imprimer un mouvement à la société, de fédérer derrière elle tout un peuple uni dans un projet commun.
Parmi les nombreux dysfonctionnements institutionnels l’hyper présidentialisme nous paraît être un des plus graves et des plus lourds de conséquence. Le fonctionnement des institutions françaises est en effet unique en Europe. Notre V° république a évolué vers une monarchisation en concentrant tous les pouvoirs ente les mains du Président de la République.
Relever le défi démocratique pour relever les défis économiques, sociaux, géopolitiques et environnementaux.
Le terrorisme frappe régulièrement. Les défis économiques et sociaux auxquels notre société fait face sont loin d’être surmontés. La géopolitique mondiale est en crise permanente. L’équilibre de la biodiversité et de l’éco système de la terre sont gravement menacés… On Peut donc s’interroger : est-ce bien une priorité que de s’engager dans un débat constitutionnel ?
Notre quotidien, individuel, familial, économique, collectif, nous fait vite oublier ce qui est un préalable à toutes nos vies, à savoir l’organisation de notre société. Il n’y a pas dans l’histoire humaine, en un seul lieu de notre planète, un peuple qui ait pu vivre sans se donner à lui-même des règles, des lois. Or pour élaborer, promulguer et faire respecter ces règles et ces lois, aucun peuple n’a pu se passer d’institutions, même sommaires
L’espèce humaine est ainsi faite qu’elle ne s’auto organise pas. Nous devons tout le temps disposer d’institutions. Celles-ci peuvent être de natures très diverses, et au sein même des régimes démocratiques notre histoire nous en a montré de très variés, mais point de société humaine sans institutions.
Or la somme des défis, des périls parfois, que nous rappelions succinctement, questionne nos institutions. Comment voulons-nous prendre les décisions essentielles que nous aurons à prendre dans les prochaines années ? Selon quelles procédures de délibération, sous la pression du temps et de l’urgence ou à l’abri de ces pressions. En donnant plus de pouvoir à un centre de décision (par exemple la présidence de la république) ou en divisant les pouvoirs pour qu’ils se contrôlent en même temps qu’ils se complètent, etc. ?
Les conditions de la démocratie
Alors que l’information doit mettre de l’ordre, aujourd’hui les conditions matérielles (technologiques) et économiques de production et de diffusion de l’information font de celle-ci une source de confusion, de désordre. L’information en continue privilégie le scoop sur l’analyse. Les réseaux sociaux colportent des fausses nouvelles, entretiennent des théories complotistes et sont alimentées bien souvent par la peur et la haine Or, la qualité de et l’accès à l’information sont des éléments constitutifs d’une démocratie. Combien de personnes qui en font profession peuvent réellement exercer le métier de journaliste dans toute son exigence ? Il y a là un débat qui sera probablement absent du champ d’une réflexion institutionnelle et constitutionnelle, mais qui mériterait pourtant toute notre attention. À défaut de trancher cette question dans le cadre des débats à venir, un travail au long cours pourrait être engagé par le parlement sur ce sujet essentiel.
La division des pouvoirs, leur équilibre sont une des conditions de toute démocratie. Dans leur diversité, les régimes démocratiques se caractérisent notamment par cette division, entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et la Justice.
Sur ce point la réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature pour garantir une pleine indépendance de la justice a été bloquée par la droite lors de la précédente législature.
Mais la question qui se profile comme le coeur des débats à venir sera probablement celle de l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Sur ce point, le quinquennat qui commence aggrave de manière inédite des déséquilibres et des dérives à l’oeuvre dans le fonctionnement, l’organisation et l’usage de nos institutions depuis plusieurs dizaines d’années. En comparaison avec la verticalité abyssale de l’organisation du pouvoir présidentiel mise en place par Emmanuel Macron, même l' »hyper président » Nicolas Sarkozy serait à classer comme un président du Conseil de la IVème république.
Enfin, et cela est en fait premier et essentiel, des institutions démocratiques se doivent d’organiser le pouvoir du peuple par le peuple. Quelle place pour le peuple dans tout ce processus de prise de décision ? Quelle représentation ? Quelle participation ? De nombreuses possibilités existent pour articuler ces deux procédures, pour que la participation rende plus démocratique la représentation.
La « monarchisation » de nos institutions
Dès sa rédaction initiale, la Constitution du 4 octobre 1958 a consacré la prééminence du Président de la République. Elle prévoyait l’élection du Président pour 7 ans par un collège de 75 000 électeurs composé d’élus, ou de représentants d’élus.
Dès le début de l’année 1962, le Général De Gaulle émit l’idée de faire élire le Président de la République au suffrage universel direct, c’est-à-dire par l’ensemble des citoyens. Le projet de révision constitutionnelle se heurta à l’opposition d’une grande partie des parlementaires. Le 5 octobre 1962, l’Assemblée Nationale vota la censure du Gouvernement, seule motion de censure votée majoritairement sous la V° République à ce jour. Le 10 octobre, le Président de la République dissolus l’Assemblée. Le 28 octobre, le peuple français approuva la révision constitutionnelle par référendum en votant oui à 13 millions de voix contre 8 millions de non et 6 millions d’abstentions.
Le 24 septembre 2000, 73,2% des votants approuvèrent par référendum la réduction du mandat présidentiel à 5 ans. La participation électorale ne s’éleva qu’à 25,3%.
Le dernier temps de cette monarchisation eut lieu le 15 mai 2001, avec l’inversion du calendrier électoral. La loi organique votée ce jour-là fixa la date des élections législatives au mois de juin, soit juste après l’élection présidentielle.
Le système est désormais « parfait ». Le Président et les députés sont élus pour 5 ans. Les députés sont élus après le Président et lui « doivent » en quelque sorte leur élection.
Les primaires renforcent les effets de cette « monarchisation »
Le poids de l’élection présidentielle est tel qu’est née une aspiration démocratique visant à faire désigner les candidats par un vote préalable.
Mais les primaires contribuent aussi à un certain recul du débat démocratique. En effet, elles affaiblissent considérablement le rôle des partis politiques.
Elles retirent aux militants la responsabilité de désignation des candidats au profit de sympathisants, certes estimables, mais qui n’assument pas la charge de faire vivre une organisation.
Elles retirent surtout aux organisations politiques leur rôle de réflexion et d’élaboration des programmes de gouvernement et donc la fonction essentielle d’élaborer des compromis politiques. Les programmes sont plus pensés par les équipes de chaque candidat que par les partis eux-mêmes et dans une logique de différentiation, autour de quelques « marqueurs » politiques et médiatiques, ce qui accentue un mouvement de parcellisation plutôt que de rassemblement.
Il est peu pensable de revenir sur l’organisation de ces primaires qui sont populaires et permettent parfois de secouer les pesanteurs internes, mais il faut que les organisations traditionnelles en maîtrisent les effets pervers. Quoiqu’il en soit, en ce qui concerne notre sujet, par le pré-débat qu’elles suscitent, les primaires renforcent le poids de l’élection et donc de la fonction présidentielle.
Les inconvénients de cette monarchie républicaine
Une polarisation totale sur l’élection présidentielle. L’affrontement entre les partis devient permanent car un quinquennat est un mandat très court. L’opposition ne peut passer aucun compromis sur des questions importantes car elle donnerait l’impression de renforcer le Président en place. De plus, l’affrontement au sein même de chaque parti est permanent entre les différents candidats à la candidature pour la présidence.
L’isolement du Président. La Constitution lui interdit de venir devant l’Assemblée en séance. En effet, il n’est pas responsable devant les députés qui ne peuvent pas le renverser. L’article 18 de la Constitution prévoit qu’il ne peut prendre la parole que devant les deux assemblées, Sénat et Assemblée nationale, réunies en Congrès dans des circonstances exceptionnelles. Ce faisant, après le contact direct avec les citoyens qu’impose une campagne présidentielle, il perd le contact avec le pays et ne le retrouve pas par le biais des parlementaires. Bien pire, il perd le contact avec les députés de sa majorité dont il perd en partie ou parfois en totalité la confiance. Ce fut le cas pour Nicolas Sarkozy. Ce fut le cas en partie pour François Hollande.
Le rôle hypertrophié des sondages et des conseillers de cabinet. Pour compenser cet isolement, les Présidents de la République qui se sont succédés font appel à de multiples sondages. Or, un sondage, s’il est intéressant pour connaître l’état de l’opinion, ne permet pas de construire un mouvement d’opinion. Gouverner en fonction des sondages interdit de changer quoi que ce soit à l’ordre existant. Faute par ailleurs d’un dialogue permanent avec leur majorité, les Présidents sont entourés de conseillers techniques. Esprits brillants, ils ont quasiment tous été formés dans les quelques grandes écoles qui fournissent les dirigeants publics ou privés. Ils ont été instruits en recevant quotidiennement le message qu’ils allaient former l’élite de la nation. Ils sont donc peu enclins à promouvoir le changement et à faire preuve d’ une imagination politique débridée.
Un parlement débordé
Dans ces conditions, le Parlement est étouffé par le rythme imposé par le pouvoir exécutif, il n’a pas accès aux arbitrages qui se font à l’Elysée, il manque de temps et de moyens humains pour préparer et évaluer les lois. Dans le même temps, les procédures parlementaires s’allongent parfois inutilement pour l’examen et l’adoption des textes.
La faible qualité de la loi est directement liée à cette faiblesse du Parlement. Une loi bavarde, qui s’aventure dans des approximations et des souhaits plutôt que de s’en tenir à la stricte définition de ce qui est interdit et de ce qui est obligatoire, est le fruit d’un Parlement qui cherche désespérément à peser.
Des citoyens mobilisés, engagés mais sans débouchés
Il y aurait une erreur de diagnostic à dire que les citoyens se désintéressent de la chose publique. Mais l’un des problèmes est que le métier de citoyen ne se réduit pas à l’acte de voter. Parmi les gens qui s’abstiennent, certains se considèrent comme citoyens parce qu’ils participent à d’autres aspects de la vie de la cité.
C’est donc à l’ensemble de ces défis (et à bien d’autres que nous n’avons pas listé ici) que devra répondre une réforme de nos institutions.